5

« Cette cachette est... sûre ? » demanda Fred.

Il ne se sentait pas tranquille depuis leur retour de Radnapoor. Il lui semblait entendre des craquements, des frôlements dans les couloirs de l’appartement.

« Sita est une vieille amie de mon père, répondit Indrani. Les Intouchables ne la connaissent pas.

— Et le DVD de Jean Hébert ? Il est ici ? » s’enquit Mark.

Indrani prit du riz et des légumes dans un morceau replié de chapati. Les ventilateurs sifflaient comme des pales d’hélicoptère sans réussir à remuer l’air poissé de chaleur et d’humidité.

« Tout s’est déroulé si vite. J’étais avec Venkatesh au moment où les Intouchables ont déclenché leur attaque. Nous avons filé chacun de notre côté. C’est lui qui avait le DVD. J’attends son coup de téléphone.

— Vous êtes certaine qu’il a réussi à leur échapper ?

— Je l’ai vu courir sur le versant de la colline de Radnapoor.

— C’est un homme fiable ?

— A cent pour cent. »

Fred but une gorgée du chai au goût prononcé d’épices qui s’associait à la moiteur ambiante et la beauté d’Indrani pour essorer toute l’eau de son corps.

« Il aurait suffi à vos Intouchables de confisquer les ordinateurs et de récupérer les données dans le disque dur, grommela-t-il en s’essuyant le front d’un revers de manche.

— Tous les ordinateurs qui ont servi aux travaux de Jean ont été détruits.

— Ça veut dire qu’en dehors de ce DVD, il n’existe aucune autre trace de l’œuvre de Hébert ? »

Le soleil s’invitait par les interstices des stores et fragmentait l’ombre des planchers et des murs. Spacieux, l’appartement n’avait gardé de sa splendeur passée que les moulures aux plafonds et les boiseries ouvragées. Un délabrement sournois le rongeait, fissures colonisées par les insectes et cernées par des lézards attentifs, usure des parquets, mobilier ancien et mal entretenu. Les envolées chaloupées d’un vina montaient de l’étage inférieur, discrètement soutenues par les notes sourdes et syncopées d’un tabla.

« Il y en a une autre... Ce sont les Intouchables qui la détiennent.

— Mais qu’est-ce qu’ils détiennent, bordel ? » s’emporta Fred. Sa chemise, son caleçon et ses chaussettes s’incrustaient peu à peu dans sa peau. Il avait l’impression d’être plongé tout entier dans la chaleur dévorante d’un four. « Vous avez parlé tout à l’heure d’un truc qui pourrait foutre la merde aux États-Unis et en Europe...

— Je sais seulement qu’il s’agit d’un virus mutant capable d’anéantir, à une vitesse éclair et à l’échelle d’un continent, la production de soja. Tout particulièrement celle du soja transgénique. »

Fred émit un sifflement.

« Le soja est la clef de voûte de l’alimentation du bétail européen, poursuivit Indrani. Sans soja, plus de poulets, plus de porcs, plus de vaches laitières. Ou alors à des tarifs prohibitifs. Sans compter tous les produits dérivés... Vous imaginez les conséquences sur l’agriculture européenne ?

— Énormes ! approuva Fred. Mais le pire serait encore pour les États-Unis. Ils ne sont pas les premiers exportateurs mondiaux de soja ?

— Si, intervint Mark. Pas besoin d’être un expert en géopolitique pour comprendre que ça leur donne un moyen de pression considérable sur des dizaines d’autres pays. Et comme par hasard, la totalité du soja américain est d’origine transgénique.

— Votre patron ne s’est pas trompé, conclut Fred. Sa saloperie mutante est plus redoutable à elle seule que les sept plaies d’Égypte ! »

La vieille femme au sari blanc fit sa réapparition et, d’un geste autoritaire, incita ses hôtes à manger. Elle leur avait servi un malai kofta  – boulettes de légumes et de fromage accompagnés de riz basmati, de chapati et d’une sauce piquante. La gorge en feu, les larmes aux yeux, Fred constatait avec dépit qu’il était le seul à transpirer autour de la table.

« Je ne connaissais pas personnellement Hébert, mais, encore une fois, ça me surprend qu’il ait pu consacrer les dernières années de sa vie à ce genre d’activité, dit Mark d’une voix songeuse. Il y a un mystère là-dessous.

— Les amis de Samuel peuvent aussi être des salauds ! lança Fred, agressif. Regarde ce qu’est devenu son copain Sven Gœdborg : un faux-cul dont le seul but est de récolter les honneurs et le blé. »

Mark haussa les épaules. Le moment était mal choisi pour se lancer dans ce genre de querelle.

« Jean s’était converti à l’Islam, lança tout à coup Indrani.

— L’Islam ? Quel rapport ?

— Ces dernières années, l’Islam s’est répandu comme une traînée de poudre chez les hors-caste. Le parti des Intouchables, le Dalit, est en grande partie financé par le gouvernement taliban de l’Afghanistan.

— Qu’est-ce qu’il revendique ?

— L’abolition effective des systèmes des castes. Il se réclame de Gandhi pour qui les Intouchables, les dalit, étaient des harijans, des enfants de Dieu. »

Fred fit une moue qui lui arrondissait les yeux et accentuait sa ressemblance avec une gargouille.

« Se réclamer de Gandhi et jouer de la mitraillette, vos Intouchables ne sont pas à une énormité près !

— Ils ont des circonstances atténuantes. Les castes supérieures les ont assignés pendant des siècles aux tâches les plus dégradantes. Mon pays a trop tardé à lutter contre ce système. Il se trouve maintenant au bord de la guerre civile. Jean, et beaucoup d’intellectuels indiens avec lui, en sont venus à considérer que l’Islam était la meilleure solution, sinon la seule, pour résoudre les problèmes de l’Inde.

— Un obscurantisme pour remplacer un autre obscurantisme, ça n’a jamais fait la lumière ! » ricana Fred.

Des étincelles de colère poudroyèrent dans les yeux d’Indrani.

« Vous êtes bien un angrezï. Vous, les Occidentaux, vous passez votre temps à donner des leçons au reste du monde. Et nous sommes nombreux à nous être brûlé les ailes à votre prétendue lumière ! »

Elle contempla pendant quelques secondes les frémissements du voilage à demi tiré sur la fenêtre.

« Le Dalit s’est toujours intéressé à la biotechnologie, reprit-elle d’une voix radoucie. Il possède son propre laboratoire dans les environs de Mumbai. Il est entré en contact avec Jean et lui a d’abord confié la tâche de recenser la biodiversité indienne pour empêcher les multinationales occidentales de rafler tous les brevets. Depuis l’affaire Chakrabarty...

— Chakrabarty ? coupa Fred. Le mec qui a eu le premier l’idée de breveter un organisme génétiquement modifié ? Ça remonte à plus de vingt ans, cette affaire-là... »

Indrani hocha la tête.

« En dix ans, la Carnatic Bio Tech a déposé plus de cinq cents brevets. Le Dalit s’est ainsi constitué un véritable trésor de guerre. Les Intouchables cèdent leurs brevets aux entreprises américaines les plus offrantes. L’afflux d’argent leur a permis de donner à Jean les moyens de fabriquer une arme biologique. Il s’y est attelé pendant une dizaine d’années. Il est parvenu, depuis peu, à mettre au point un principe qui bouleversera l’équilibre économique et politique de l’Occident pendant un bon bout de temps.

— Comment le Dalit compte-t-il utiliser ce genre d’arme ? demanda Mark. Il n’a pas accès aux semences américaines...

— Le XXIe siècle voit arriver une nouvelle forme de terrorisme : le terrorisme en blouse blanche. Les fanatiques de toutes tendances se constituent en réseaux planétaires. Leurs biologistes s’infiltrent dans les plus grands groupes de bio-ingéniérie occidentaux, en particulier chez les producteurs de semences génétiquement modifiées. Mais, en l’occurrence, ce sera bien moins compliqué : la contagion s’effectuera par une plante sauvage des plus courantes, le chénopode, l’amarante, ou même le lupin. Il suffira de l’infester avec le virus mutant, et tout le soja américain disparaîtra. A moins de connaître les gènes mutants, on ne pourra pas venir à bout de ce fléau avant une bonne dizaine d’années... »

Un silence tendu ponctua les paroles d’Indrani. Ce fut Fred qui le rompit :

« En bref, vous venez bien de nous dire qu’un groupe de fanatiques islamistes possèdent, grâce à votre patron, une arme biotechnologique avec laquelle ils peuvent faire chanter les grande puissances de ce monde...

— Ils ne la possèdent pas encore, rectifia Indrani. Du moins pas entièrement. Jean a eu des remords. Il a voulu tout plaquer, tout détruire, mais le Dalit a menacé des membres de sa famille en France pour l’obliger à continuer. Il n’a trouvé qu’un moyen pour éviter le pire : scinder ses travaux en deux parties, l’une contenue dans un premier DVD qu’il a effectivement livré aux Intouchables, l’autre dans un deuxième DVD, celui que détient Venkatesh. Le premier contient le génome décrypté du virus avant sa mutation en laboratoire, le second les gènes mutants, exclusivement. Pris séparément, ils ne sont pas exploitables. Et puis Jean s’est réfugié à Radnapoor, quelqu’un a remis le Dalit sur sa piste, et vous connaissez la suite... »

Mark se leva, se rapprocha de la fenêtre et observa, par les interstices des stores, le ruban embrumé des voitures et des bus sur le boulevard écrasé de soleil. Il ne savait pas si le poids sur ses épaules et sa nuque provenait de l’ombre des mauvais jours ou du manque de sommeil.

« Pourquoi Hébert m’a-t-il fait venir en Inde ? demanda-t-il sans se retourner.

— Il voulait vous remettre le deuxième DVD en mains propres. Il n’avait confiance en personne d’autre que vous.

— Il ne me connaissait pas... »

Indrani se leva à son tour et vint le rejoindre près de la fenêtre. Il fut saisi, happé presque, par la chaleur qui émanait d’elle. Une boule d’énergie lui irradia le bas-ventre, monta le long de sa colonne vertébrale, lui incendia le cerveau.

« Vous êtes le petit-fils de Samuel Sidzik, dit Indrani. Cela lui suffisait. »

Sa voix parvenait à Mark, hébété, comme au travers d’un mur d’eau. Il se ressaisit et s’efforça de soutenir le regard de la jeune femme. Il eut l’impression d’échouer sur un îlot de terre brûlée.

« Et vous ? Qu’étiez-vous pour lui exactement ?

— Officiellement, son assistante.

— Et officieusement ?

— Disons... la gardienne de sa jeunesse. » Elle ne lui laissa pas le temps de s’étonner de cette réponse. « Jean souhaitait également que vous repreniez le premier DVD aux Intouchables pour le mettre en lieu sûr. Il craignait que leurs biologistes ne réussissent un jour ou l’autre à reconstituer la partie manquante.

— Moi ? Il faudrait pour ça que je sache où se trouve leur laboratoire...

— Moi je le sais. Et je vous y conduirai. Mais vous avez l’air fatigué. Il vaudrait mieux vous reposer en attendant l’appel de Venkatesh : vous risquez d’avoir besoin de toutes vos forces dans les heures à venir. »

Il ressentait effectivement une immense fatigue. Une léthargie comparable à un début d’anesthésie. Paupières lourdes, muscles engourdis, bouche pâteuse, irrésistible envie de s’allonger, de plonger dans quelques heures d’oubli.

« Encore une question : où avez-vous appris à parler français ?

— Mes parents étaient francophones, et j’ai fait une grande partie de mes études à Paris. A Jussieu plus exactement. »

 

Fred demanda à Indrani la permission de se servir de son antique PC et son modem pour rédiger et expédier, via Internet, son papier sur le congrès des neurosciences de Boston.

« Pendant que j’ai encore tout ça en mémoire. Cinq, six feuillets, ça suffira largement. Autant se débarrasser des corvées. »

Mark s’allongea sur l’un des deux charpoy, les lits indiens en cordes tressées. Bien que la chambre fût presque aussi chaude qu’un sauna, il frissonnait, comme s’il couvait une mauvaise grippe. L’ombre des mauvais jours le recouvrait tout entier, le glaçait jusqu’aux os. Il ferma les yeux, sombra immédiatement dans un vide douloureux, roula dans les cauchemars comme dans des vagues blessantes.

Lorsqu’il se réveilla, trempé de sueur et suffoquant d’angoisse, il aperçut une silhouette claire au pied du lit. Indrani, les cheveux dénoués, le regardait. Les rayons rasants du soleil s’immisçaient par les stores, transperçaient sa courte tunique de coton blanc et révélaient son corps aux formes pleines.

« Venkatesh vient d’appeler. »

Pendant quelques secondes, il se demanda s’il n’était pas en train de rêver.

« Il nous attend à Mysore, poursuivit Indrani. Levez-vous, nous n’avons pas de temps à perdre. »

Mark se redressa et s’aperçut que le sommeil n’avait pas dispersé l’ombre des mauvais jours.

« Quelle heure est-il ? bredouilla-t-il.

— Six heures du matin. Vous avez dormi dix-sept heures d’affilée. Votre ami dort encore dans la chambre d’à côté. »

Mark fila dans la salle de bain. Le jet glacé de la douche ne suffit pas à lui remettre les idées en place. Il se rasa, enfila une chemisette et un jeans, puis, une fois habillé, entra dans la chambre voisine. Il dut secouer Fred deux bonnes minutes avant que celui-ci ne daigne ouvrir un œil. Le loir Cailloux poussa un grognement à fendre l’âme, leva un visage ravagé par la fatigue et les moustiques, puis s’évertua à remettre de l’ordre dans les improbables figures géométriques que formaient ses jambes, ses bras, le drap et le traversin. Mark ouvrit les stores. La pièce s’inonda de soleil et s’emplit de la rumeur matinale de Bangalore.

« Qu’est-ce qui se passe, merde ? » Fred consulta sa montre, une succession de gestes qui lui prit une trentaine de secondes. « Ça fait à peine cinq heures que je suis couché. J’ai séché tout l’après-midi et une partie de la nuit sur ce putain de papier, je me suis paumé sur le Web, je suis allé dans la vieille ville avec Ramesh pour m’acheter des fringues, j’ai été bouffé par les moustiques...

— Indrani a reçu des nouvelles de Venkatesh. Il nous attend à Mysore. On lève le camp. »

Fred se redressa sur un coude et leva sur Mark un regard incrédule.

« Ne me dis pas que... Tout ça ne nous concerne pas, Mark !

— C’est à moi que Hébert devait remettre le DVD...

— Il est mort, ton Hébert ! Et puis, cette nana, Indrani... elle me fait un drôle d’effet. Pas le genre d’effet que devrait me faire un canon dans son style. Je ne la sens pas.

— Le massacre de Radnapoor tend à prouver qu’elle dit la vérité. Imagine que les Intouchables récupèrent les deux DVD : ils joueront au monde entier leur version de l’Apocalypse. Dernière précision : je ne t’oblige pas à m’accompagner. »

Dix minutes plus tard, Fred faisait son apparition dans la salle à manger, les joues rougies par l’eau froide de la douche. Il avait passé sa veste sur une tunique et un lenga flambants neufs. Le tout ne formait pas un ensemble très heureux avec ses Timberland, qu’il portait sans chaussettes. Débout dans l’embrasure de la porte, Ramesh fumait une beedi dont l’acre odeur de plante brûlée se mêlait au parfum sucré de l’eau de rose.

Fred eut tout juste le temps d’avaler un beignet, de s’arracher la gorge avec du chai brûlant et d’allumer une cigarette. Tout en mangeant et fumant, il jeta un œil au quotidien étalé sur la table et dont la première page était entièrement consacrée au massacre de Radnapoor : gros titres en anglais, photos des cadavres alignés, portraits de Jean Hébert et de Sri Ananda Saraswati.

Ils sortirent après avoir pris congé de leur vieille hôtesse. Dans l’escalier de pierre, Mark eut la sensation oppressante d’un danger. Des ombres s’agitèrent au milieu de la cour : un groupe de Saddhus, seulement vêtus de cache-sexe et rassemblés sous le grand banian, mangeaient les fruits, les thali ou les gâteaux offerts par les habitants de l’immeuble. Certains d’entre eux tiraient d’impressionnantes bouffées de leur chillum de terre cuite et semblaient flotter au milieu des écharpes de fumée.

Ils durent jouer des épaules et des coudes pour se frayer un passage sur le trottoir du boulevard, déjà encombré de marchands ambulants, de mendiants, de cyclistes, de vaches sacrées et de piétons. Fred ne tarda pas à transpirer à grosses gouttes. L’azan, l’appel d’un muezzin à la prière, se perdit dans les coups de klaxon, les hurlements des vendeurs de chai et les vrombissements des rickshaws. Mark repéra dans la multitude le visage grêlé d’un mendiant qui marchait une dizaine de mètres derrière eux et dont le regard fiévreux, halluciné, lui rappela celui du brancardier dans l’ashram de Radnapoor. Il regretta de s’être encombré de son sac, dont la lanière lui irritait l’épaule. De temps à autre, les poussées de la foule le précipitaient contre Indrani. Les contacts répétés avec la jeune femme réveillaient le serpent d’énergie qui l’avait visité la veille.

Ramesh les conduisit dans une ruelle encore obstruée des vestiges de la nuit. Quelques taxis circulaient au ralenti entre les piétons, les rickshaws, les laveries et les ateliers de tailleurs. L’Hindustan les attendait une cinquantaine de mètres plus loin, l’avant garé sur le trottoir et l’arrière sur un passage piéton.

Un groupe d’hommes et de femmes couverts de haillons sortirent du porche d’un immeuble et s’avancèrent dans leur direction. Un poids tomba sur les épaules et la nuque de Mark, qui se pétrifia. Fred parcourut encore une dizaine de mètres avant de se retourner et de l’apostropher.

« On peut savoir ce que tu fous ? »

Mark ne répondit pas, les yeux rivés sur les mendiants. Il lui semblait à présent discerner des scintillements entre les plis de leurs hardes. Ils étaient tous jeunes, apparemment bien nourris et en parfaite santé. Ils progressaient en formation serrée, à la manière d’un commando lâché en territoire ennemi.

Indrani s’arrêta à son tour et observa les mendiants. Elle resta pendant quelques secondes figée, attentive, comme ces rongeurs du désert dressés sur leurs pattes arrière pour prévenir l’approche des prédateurs. Le coup de klaxon d’un rickshaw qui débouchait d’une rue perpendiculaire la fit tressaillir et reculer de deux pas. Elle cria trois mots à l’attention de Ramesh, pratiquement arrivé à hauteur de l’Hindustan, puis s’élança soudain derrière le rickshaw.

« Courez ! » cria-t-elle au passage à Fred.

L’ordre mit une éternité à toucher le cerveau de Cailloux, tétanisé. Il vit, comme au cinéma, les mendiants écarter leurs hardes et brandir des fusils d’assaut.

« Run, mister ! »

Ramesh le dépassa en louvoyant. Les mendiants se déployèrent dans la ruelle, entre les voitures. Fred entendit des vociférations, des détonations, des sifflements, des crépitements, des cliquetis. Une violente odeur de poudre lui agressa les narines, lui irrita la gorge. Le pare-brise d’un taxi se pulvérisa, des éclats diamantins se répandirent sur le bitume.

Une main lui agrippa l’épaule.

« Bouge-toi le cul, Fred ! »

Alors seulement, il comprit qu’il devait se faire violence pour prendre ses jambes à son cou et sortir intact de ce couloir de la mort.